Comme toutes les années, la période estivale se clôtura sur la « fête annuelle du cochon » du village ; en réalité, deux énormes marcassins chassés par les « plus fins limiers du canton » et cuits à la broche pendant douze heures (avec des patates dans la braise !) !
Comme d’habitude, Suprême avait été investi par l’association « les gais chasseurs qui comptent Double(1) » pour associer le vin à la viande. La discussion avait été vive quinze jours plus tôt lors de la réunion de « l’Amicale du comité de la festouille » du village lors de laquelle le Président menaça de démissionner dix fois suite à quelques noms d’oiseaux « non répertoriés dans nos contrées ! » échangés après son « aval sur la date de fermeture de la pêche à la truite saumonée ».
Suprême avait proposé (imposé) deux vins principaux et le fils du vigneron du village voisin (et grand chasseur devant l’éternel, notamment de gueuses !) avait émis un long couinement de réprobation. Une dispute avinée s’en était suivie, qui avait fini dans le ruisseau bordant le local des chasseurs. Le maire avait dû appeler la gendarmerie qui avait déboulé à dix, armés jusqu’aux dents et prêts à en découdre… Chasseurs eux-mêmes, ils avaient participé à la reprise des hostilités quand un des brigadiers avait approuvé le choix de Suprême.
Bref, quinze jours plus tard, la fête battait son plein (298 repas payés pour 177 habitants), la musique tonitruante et réglée par DJAlbert (l’immortel), et les conversations hautement stratégiques (« on mangera quoi à noël ? »).
Le maire, après un discours désordonné mais hilarant (à croire qu’il avait fusionné plusieurs discours en un seul… « le tout-en-un » dixit Un, inspiré), avait ouvert les « véhémentes gustatives » par une entrée typique du coin : un demi-melon au pineau des Charentes qui avait été acclamé par tous les bancs occupés par l’armada britannique (175 personnes référencées).
Le premier adjoint avait lancé le « deuxième round » avec un « assortiment de pâtés » ; les quelques hollandais présents (31) avaient hululé de bonheur quand avaient été posés sur leurs tables des pots de foie gras de canard, d’oie et une terrine de « faisan au cognac flambé ».
Un autre adjoint avait alors invité les « résidents français » à lever la main afin de « gagner le lot n°3 » à la tombola organisée par l’Amicale de la « confiture de pêche, abricot et figue » qui, toutes les années, élisaient la « meilleure confiture pê-bri-gue » de la contrée. Le maire compta, puis recompta et se gratta la tête.
177 habitants recensés, 177 inscrits (« tous présents, m’sieur maire » avait gueulé la secrétaire de mairie la veille au soir)… et là, 92 mains… il manquait donc 85 habitants, et même en comptant la Smala comme une entité, il manquait du monde.
Un fut appelé à la rescousse par le maire afin de « débrouiller cette absence préjudiciable pour le village » et Suprême investi du « recomptage des inscrits, des payants et des présents ».
Après deux heures, lors desquelles le restaurateur dût ravitailler trois fois en pâtés toutes les tablées pour faire patienter les convives, un semblant d’explication apparu :
« Y’a une fête dans le village d’à-côté, ils fêtent le mariage du fils du maire » Gueula un des chasseurs qui n’avait pas bu que du pineau rosé.
« Et ? » Questionna Suprême outré qu’on ne l’ait pas convié.
« Ben, y’a des cousins à eux, ici, alors la famille du maire s’est déplacée de chez nous ! » Répliqua le chasseur.
« Mais qui dit ? » Demanda Trois qui venait d’engloutir sa cinquième (grosse) tartine de foie gras d’oie avec « des morceaux de noix et de figue dessus ».
« Qu’il y a des traîtres dans le trou du cul du monde ! » Dit Pétunia à l’oreille de Trois qui gueula de plus belle.
« Qué pasa, mon trognon ? » Lança Suprême.
« Y’a Pétunia qui me postillonne dans la feuille ! » Couina Trois.
« Qui sont les traîtres !??? » Hurla le maire.
« Levez les mains, mécréants ! » Cria Cousin Edmond en montant sur la chaise, basse, du curé.
« Hein, le cureton, t’es pas au mariage, toi ? » Demanda le premier adjoint, imbibé.
« Ben… ben…. J’ai pas officié ! Ils se sont mariés civilement ! » Pleurnicha le curé.
« Outraaaaaaaaaaaaaaaage ! » Hurla Cousine Sidonie.
« C’est une honte ! » Renchérit Cousine Aglaé.
« A bas le clergé ! » Cria Trois en agitant son mouchoir de poche, rouge.
« Trois, mon pommier des îles flottantes au caramel mou, on n’est pas sur les barricades ! Descends de ta chaise, tu vas de vautrer ! » Lui lança Suprême, inquiet.
« Bibiiiiiiiiiiiii » Gueula le maire devant l’ampleur des dégâts à venir côté Smala.
« Où est le pruneau de ma prunelle ? » Demanda Suprême en laissant choir Trois qui venait de s’élancer dans ses bras.
« A la table des british, avec son mari, british » Pesta Quatre qui n’avait pas été admis pour cause de « non-compréhension des bases de la langue de Shakespeare ».
« Mon Bibi adoré, viens voir ton papounet d’amour avant qu’il y ait une guerre avec le village d’à-côté » Implora Suprême en ramassant Trois et son mouchoir.
« Monsieur Suprême, on peut peut-être inviter la noce ici, pour faire plus monde pour la loterie ? » Glissa un hollandais (volant et bilingue).
« Qui a embarqué les cochons ? » Hurla, soudain, le cuistot.
« Les mécréants ! Ils piquent notre bouffe ! » Braillèrent les invités en voyant un tracteur foncer à toute vitesse vers le village d’à-côté.
« Aux aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaarmes » Gueula la Smala en formation tortue, Edward en bouclier étendard !
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(1) région forestière qui s’étend entre les départements de la Charente-Maritime et de la Dordogne, jusqu’au nord de la Gironde. Elle est délimitée par la rivière Isle au sud, et par la Dronne au nord. Elle a longtemps joué le rôle de forêt frontière car au XIIème siècle, la partie de la Double située en Angoumois formait un avancement vers le sud ce qui représentait la limite entre les possessions du roi de France et celles du roi d’Angleterre (provenant du mariage d’Éléonore avec Henri Plantagenêt) et forme pendant la guerre de 100 ans une frontière difficile à pénétrer.