Cet été, j’ai découvert, en SP, le livre « La tache verte » de Anne Labbé, aux éditions Alice Lyner, paru en 2013 (oui, ça date) et j’en suis tombée amoureuse… Les talents de conteuse de cet auteur, son ambiance, son atmosphère et la sensibilité humaniste et écologiste m’ont ému.
J’ai donc mis en ligne ma chronique, ici, et j’avais envie de vous la faire découvrir !
Voilà qui est fait ci-dessous !
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Bonjour Anne, je suis ravie que tu aies acceptée de partager, avec mes lecteurs, ta vision de l’écriture et de conteuse/romancière. Qui es-tu et d’où vient ton envie d’écrire ?
Ouh là là ! De Polymnie, peut-être ????
Plus sérieusement, sans doute de mon goût immodéré pour la lecture depuis mon plus jeune âge. J’ai commencé à plonger mon nez dans les bouquins « sans image » vers l’âge de six ans. À lire les histoires écrites par d’autres, j’ai eu envie d’inventer les miennes. Je racontais d’ailleurs déjà des histoires dont je me faisais l’héroïne à mes camarades d’écoles, que mon coquin de frère venait démolir en disant « c’est même pas vrai ! » La honte…
Cependant je pouvais me défouler par écrit dans ce qu’on appelait alors les rédactions. Les notes étaient liées à la qualité de l’écriture et non pas à la véracité des faits rapportés. Heureusement pour moi ! J’ai écrit mon premier roman à douze ans, dans un cahier d’écolier, illustré par des photos découpées dans des revues. Je l’ai conservé, mais je n’ai jamais osé le relire…
Ton roman « la tache verte » est un magnifique plaidoyer à la nature mais également à l’humain, à l’humanité toute entière. Comment as-tu développé ce sujet ? Est-ce un thème qui t’ intéresse particulièrement ?
Pour tout avouer, c’est mon plus jeune fils, Keny, à l’époque âgé de 8 ans, qui m’a lancée dans l’aventure. À cette époque, il a commencé à se passionner pour les romans fantastiques, science-fiction et anticipation. Ce n’était pas du tout ma tasse de thé, mais en maman soucieuse de surveiller les lectures de son petit chéri, je me suis mise à lire les bouquins qui semblaient tant le captiver (sur son insistance, à vrai dire.) « C’est vachement bien », affirmait-il (NDLR : je confirme, c’est vachement bien !!)
Et je me suis prise au jeu, trouvant effectivement « vachement bien » certaines de ses lectures fournies par la bibliothèque du village. C’en serait probablement resté là si mon sacré gamin n’avait pas commencé à me tarabuster. « Pourquoi t’écris pas un fantastique ? » C’est devenu un véritable harcèlement. Je ne m’y voyais pas du tout.
Sur ce, parution de mon livre « Contes et légendes du pays des mille étangs » (édité par Royer) La plupart des fantastiques utilisent les personnages légendaires des mythologies celtiques, germaniques, plus rarement ceux des mythologies grecque et romaine. Devant les réactions de mes lecteurs qui ne connaissaient ni les martes, ni le lupeux, ni le meneux de nuées, ni le cheval Malet, et poursuivie par les insistances de Keny, j’ai fini par me dire « pourquoi pas un fantastique Brennou ? » L’idée a commencé à me trotter dans la tête.
Et comme effectivement je suis une écolo convaincue, ayant toujours vécu très proche de la nature, et très préoccupée par l’avenir de l’humanité par les temps qui courent, l’idée d’un fantastique Brennou et écologique a poursuivi son chemin.
Cependant mon tenace de gosse a commencé à me préciser qu’il faudrait aussi que ce soit un roman d’anticipation, avec un soupçon de science-fiction. Comme il était abonné à « science et vie junior » et que j’en profitais pour lire sa revue, j’ai découvert des projets bien réels de villes-pyramides. Je me suis documentée plus avant sur la question, et c’était parti. Mon idée de départ était d’inverser la peur actuelle des OGM par la peur des affreuses plantes sauvages. J’ai testé oralement cette idée sur quelques amis, et ça a bien accroché.
Restait que pour moi, c’était une aventure d’écriture tout à fait nouvelle, mais passionnante, et je savais que ça me prendrait du temps. Forte opportunément, j’ai obtenu pour l’écriture de ce livre une bourse assez conséquente du Centre National de Livre (que ce projet a beaucoup intéressé), ce qui m’a permis de travailler en toute sérénité. J’ai mis trois ans, quand même, à en venir à bout.
Entre temps, j’ai dû passer du temps à soigner mon compagnon atteint d’un cancer, et il est mort avant que je n’ai tapé le mot « fin ».
Tu évoques les coins perdus, le paradis vert, quel est le tien ou serait le tien ?
J’ai vécu mon enfance au bord de la rivière. Chez mes parents, la fenêtre de ma chambre avait vue sur l’Indre et les magnifiques prairies qui la bordent, avec le clocher du village en toile de fond. Et je passais mes vacances chez mes grands-parents qui avaient un moulin au bord de la Creuse. (À l’âge de sept ans, je ramais comme une pro !) J’ai ensuite vécu en Brenne, où j’ai élevé mes enfants (trois filles et un garçon) C’était tout près de la forêt de Lancosme, il me suffisait d’ouvrir les fenêtres en automne pour écouter les cerfs bramer.
La Brenne est assez bien préservée des grandes cultures. Malheureusement, entre ma maison et la forêt, il y a des champs. Les seuls de toute la commune à être cultivés intensivement par un céréaliculteur fervent de pesticides. Respirez le bon air de la campagne !
Mon pauvre potager cultivé amoureusement en « bio » était régulièrement arrosé de cochonneries, étant attenant à ces fameux champs. Pour comble lorsque nous sommes rentrés de ce fameux voyage (Cahin-caha), les framboisiers, groseilliers et cassis qui formaient une haie entre mon jardin et le champ étaient presque tous morts : pour entretenir sa clôture électrique anti-cerfs et sangliers, l’agriculteur l’arrosait au glyphosate, à ras mes pauvres arbustes qui n’y ont pas résisté.
Par ailleurs, mon Oswald refusait absolument de manger les produits de mon jardin (« ils sont sûrement empoisonnés »).
Goutte d’eau pour faire déborder le vase, ma petite fille âgée de 4 ans a fait une puberté précoce. Sa maman, interrogée par la spécialiste qui la questionnait sur les conditions de sa grossesse : « j’étais chez ma mère et je mangeais les bons légumes de son jardin. » réponse de la dame « Et je parie que le jardin de votre maman était attenant à une exploitation agricole utilisant des pesticides. Typique. J’en vois de plus en plus, des gamines de 4 à 8 ans qui entrent en puberté. Elles ont presque toutes le même point commun : Maman a mangé les bons légumes du jardin ! Sauf que ces légumes sont tous « pesticidés » ».
Oswald avait confié sa propre maison, isolée dans la montagne de l’Hérault, à l’un de ses fils. Celui-ci ne souhaitant plus y vivre, nous avons décidé de nous y installer pour en faire notre petit paradis. Nous y vivons entourés de verdure, au creux d’une petite vallée où coule une rivière, protégés par les montagnes environnantes, tout à fait incultivables, couvertes de chênes verts et de châtaigniers. Notre potager est désormais à l’abri des poisons (espérons-nous, puisque ces poisons se faufilent partout, avons-nous ouï dire. En tout cas, sûr qu’on en subi beaucoup moins que dans ma maison berrichonne.).
J’ai été interpellée par la vision du futur et ce côté anticipation que j’aime tant. Je suppose que ton attachement pour le Berry ne pouvait que transparaître dans ce roman ?
Pour sûr ! Au moment où j’ai écrit ce roman, je n’imaginais certes pas quitter un jour mon Berry natal ! La vie réserve de ces surprises…
Tu es une conteuse, ce qui se ressent dans ton ouvrage. Parles-nous de cet aspect de ton art.
C’est sans doute un peu atavique. Mon arrière-grand-père était un conteur extraordinaire. Et j’ai largement eu le temps d’en profiter, puisque lorsqu’il est mort j’avais vingt ans.
Ma grand-mère contait aussi, ainsi que l’une de mes tantes dont j’étais très proche. Et bien sûr ma maman. Étant l’aînée de sept enfants, et ayant toute une flopée de cousins et cousines plus jeunes que moi, je me suis moi-même mise à raconter pour toute cette marmaille ce que j’avais entendu. Je crois que j’ai dû commencer vers l’âge de dix ans, pour les plus jeunes de la famille. Et il m’arrivait aussi d’inventer.
Bien entendu, j’ai continué pour mes propres enfants, et aujourd’hui pour mes petits-enfants. Tout cela restait à l’intérieur du cadre de la famille, des amis et des voisins. Il ne m’était jamais venu à l’idée que je pourrais raconter devant un public. Cela m’est tombé dessus par hasard sur le tard. Deux de mes filles adolescentes ont déniché un job de vacances dans un Village Vacances, où elles organisaient activités et jeux pour les enfants. Le soir, il y avait des spectacles et animations et elles m’ont demandé si je pourrais venir conter.
Me voici donc revêtue de mon « costume » de paysanne berrichonne, un panier de légumes tout frais cueillis du jardin, et c’est ainsi que j’ai commencé, en m’adressant au public : « A sont ben mignounnes, mes drôyères, de m’demander si j’pouvions v’ni vous raconter queuques histouéres. Mais c’est qu’ça fait point mon ouvrage, tout ça. Avec tous ceux haricots à équeuter… Alors si vous y voyez point d’inconvénient, j’veux ben causer, mais seulement ben en équeutant mes haricots. C’était coumme ça, aut’fois, quand qu’on veillait. Point de temps pardu ! »
Bon après cette introduction, il fallait que je raconte en bon français, parce que les berrichons berrichonnant étaient plutôt rares dans la salle. Mais ça a pris, et ensuite, j’ai été demandée ailleurs…
En tant qu’auteur, comment es-tu distribué ? Quelles ont été tes démarches pour « la tache verte » ?
Mes ouvrages sont distribués par mes éditeurs ou par les distributeurs de mes éditeurs. On les trouve en librairie, ou chez Amazon, et il m’arrive d’être invitée dans des salons du livre. Excepté bien entendu « Cahin-caha » qui est auto-édité, et vendu par nous-même soit par le biais de notre site Internet, avec de temps en temps une petite réclame sur notre Facebook, soit sur des salons, ou à la suite de notre conférence.
En ce qui concerne « la tache verte », j’avais envoyé mon tapuscrit par la poste à quelques éditeurs spécialisés plutôt dans le fantastique et l’anticipation. Il se trouve que j’ai rencontré Sébastien Delaveau, l’éditeur d’Alice Lyner, sur un salon du livre, et qu’il m’a demandé à quoi je travaillais en ce moment. Je lui ai parlé de mon roman, sans vraiment penser à lui comme éditeur puisqu’il est plutôt spécialisé dans le régional et ne publie que très peu de romans. Mais bon, celui-ci était quand même régional. Sébastien m’a demandé si je pouvais lui faire lire mon tapuscrit, par curiosité, tout en me précisant que ça ne l’intéressait pas trop de publier ce genre-là. Mais quand il en a eu terminé la lecture… il m’a proposé de signer le contrat. Il se trouve qu’une huitaine de jours plus tard, un éditeur de fantasy m’a aussi proposé un contrat ! Comme j’avais signé et que ce n’est pas mon genre de me dédire, je suis restée chez Alice Lyner. Je n’ai avoué la chose à Sébastien que lorsque le bouquin était déjà sorti. Il était un peu désolé, disant que pour la distribution, ça aurait sûrement été plus intéressant pour moi d’avoir affaire avec cet autre éditeur, et que j’aurais pu en discuter avec lui. Mais ce qui est fait est fait.
Évidemment, avec un petit éditeur berrichon, on n’a pas un gros tirage, mais dans un autre sens, ça me plaît bien de faire travailler un petit éditeur… Ce serait bien pour lui aussi si le bouquin était un peu plus visible (il n’a pas les moyens de faire un grand tapage publicitaire) mais bien sûr les médias préfèrent parler des bouquins qui sortent chez les grands éditeurs au bras plus long (NDLR : c’est bien dommage !).
Tu as auto-publiée un ouvrage sur ton périple en roulotte sur 5200 km entre la France et la Roumanie, en traversant notamment l’Italie, le Sud de la Hongrie, les Carpates, la Bavière, etc. Dis-nous en plus.
Ah ! Ah ! Lorsque j’ai rencontré Oswald, nous avions déjà tous les deux, disons, un certain âge. Et nous vivions chacun seul depuis quelques années, à 600 km l’un de l’autre, avec des petites habitudes personnelles… Oswald était très attaché à son pays d’Oc et moi à mon Berry. Nous avions envie de tâter de la vie commune, mais pas très sûrs que ça fonctionnerait. Oswald a eu une idée. Nous devions nous poster un courrier, qui partirait le même jour pour être certains qu’il n’y aurait aucune influence de l’un sur l’autre. Il voulait que nous nous écrivions nos rêves, même les plus improbables. Non pas forcément pour les réaliser, mais pour mieux connaître nos jardins secrets respectifs.
Et tiens… dans les deux lettres, il était question d’une roulotte ! Quand plus tard j’ai demandé à Oswald si ce n’était qu’un rêve en l’air ou s’il était vraiment partant, il m’a répondu qu’évidemment, il était partant.
Mais il a fallu s’accrocher, quand même… On a connu quelques déboires avant la réussite. Mais on l’a fait. Deux vieilles croûtes sur la route. France, Italie, Slovénie, Sud de la Hongrie, Roumanie, avec un hivernage de cinq mois dans les Carpates, qui nous a mêlés à la vie d’un tout petit village, puis retour par le Nord de la Hongrie, la Slovaquie, l’Autriche, la Bavière, l’Allemagne, retour en France par l’Alsace.
Partout, partout, un accueil fantastique qui réconcilie avec l’humanité. Un secours trouvé à chaque embarras dans les lieux les plus invraisemblables. Bref, une magnifique expérience.
Que dire de plus ? Allez-voir notre site, lisez notre livre !!!
Pour sûr, vivre serrés dans une petite roulotte, avec tous les aléas d’un voyage comme celui-ci, ça teste la solidité d’un couple ! Expérience réussie, donc.
Quels sont tes projets 2019 ?
Outre mon installation définitive dans le Sud, et un projet de permaculture (on a mis Océane et Noé au débardage pour qu’elles ne se rouillent pas !) j’œuvre toujours à l’écriture, bien sûr (je ne peux pas m’en empêcher)
Je suis à la recherche d’un éditeur pour un roman jeunesse intitulé « Kahil », histoire d’un jeune guerrier Hun qui suit Attila lors de ses conquêtes de Gaule et d’Italie. Ça ne doit pas être très porteur comme sujet, puisque pour l’instant je n’ai essuyé que des refus !
Je suis en train de fignoler et de mettre la dernière main à un autre roman jeunesse, « le fils du tonnerre » qui a pour cadre l’Amérique précolombienne des Incas.
Et puis un récit de notre voyage, vu par notre chien, Altaï. Lorsque nous étions sur la route et que nous décrivions sur notre site notre progression, j’avais à trois ou quatre reprises laissé parler le gros toutou, et cela avait eu un succès phénoménal. Je n’ai pas l’intention de publier un livre papier avec ce récit, car il est plein de photos, et ça ferait un bouquin trop cher. Mon projet, c’est de le publier en ligne de façon à ce que l’on puisse le charger sur une liseuse électronique (il faut bien vivre avec son temps !).
Où pouvons-nous trouver ton travail outre qu’en librairie ?
Ben… chez Amazon !
« Cheval-Soleil » et « Contes et légendes du Pays des Mille Étangs » sont épuisés, mais on peut encore en trouver des exemplaires d’occasion en passant par Internet.
Cahin-Caha n’est trouvable que par notre intermédiaire. Toutes les façons possibles de l’acheter se trouvent sur notre site.
« Cheval-Soleil » a été mon best-seller et s’est très bien vendu. Il a même été choisi comme sujet d’étude par de nombreux profs de collège. Il a été adapté en dessin animé par les films de l’Arlequin, pour RF3, dans une série de 8 dessins animés intitulés « les grands textes de l’enfance ». Je n’étais pas peu fière d’avoir été choisie !!!!!
Le dessin animé a d’ailleurs obtenu plusieurs prix prestigieux à l’international (Hongrie, Espagne, et même Corée) ; ce dessin animé doit encore se trouver sur Internet (NDLR ci-dessous !), il a été publié sous forme de CD. Hachette a édité puis réédité « Cheval-Soleil », mais après épuisement de la deuxième édition, m’a rendu mes droits. Je suis en train de chercher un éditeur qui serait intéressé pour reprendre le flambeau.
bibliographie Anne Labbé
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Merci à toi, Anne, pour ce bel échange, pour cet incroyable ouvrage qu’est « Cahin-Caha » que j’ai adoré lire, parcourir, humer… Un dépaysement avec toute l’humanité qui se dégage de toi !
J’ai hâte de lire d’autres aventures et notamment ce petit Hun !!!
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Lisa